Bernard Hinault, l’un des plus grands champions de l’histoire du cyclisme, a récemment fait une comparaison marquante entre deux étoiles montantes du cyclisme moderne, Tadej Pogacar et Remco Evenepoel, et un autre champion du monde légendaire. Ce parallèle, surprenant de prime abord, fait écho à une réflexion plus profonde sur l’évolution du cyclisme et sur la psychologie des coureurs d’élite. Selon Hinault, Pogacar et Evenepoel ressemblent à un champion d’un autre temps, non seulement par leur palmarès, mais aussi par une certaine distance émotionnelle avec la compétition. Il a ainsi affirmé que les deux jeunes prodiges agissent parfois “comme s’ils n’aimaient pas vraiment courir”. Cette déclaration mérite d’être explorée à travers le prisme de l’histoire et de la culture du cyclisme.
Avant d’approfondir les comparaisons, il est crucial de comprendre la perspective d’où parle Bernard Hinault. Surnommé « Le Blaireau », Hinault a dominé le cyclisme dans les années 1970 et 1980, remportant cinq Tours de France, trois Giros d’Italia et deux Vuelta a España, ainsi que de nombreuses classiques. C’est un coureur qui a toujours démontré une approche agressive et passionnée de la course. Pour Hinault, chaque jour sur la selle était une opportunité de gagner, et non seulement de gérer son effort.
Hinault représente l’archétype du coureur prêt à tout donner sur le vélo, à prendre des risques, à attaquer constamment. Pour lui, courir était synonyme de combat et de passion. Chaque victoire était arrachée de manière presque viscérale, et chaque course était vécue comme une bataille à mener de front. Son style ne laissait pas de place à la demi-mesure : courir signifiait se donner corps et âme.
Tadej Pogacar et Remco Evenepoel sont sans aucun doute les prodiges les plus impressionnants du peloton contemporain. Pogacar, double vainqueur du Tour de France (2020 et 2021) à seulement 23 ans, est reconnu pour son talent immense, sa capacité à attaquer à des moments imprévisibles, et une sérénité déroutante dans les moments clés. Evenepoel, quant à lui, a déjà accumulé des titres prestigieux, y compris celui de champion du monde en 2022 et une victoire éclatante dans la Vuelta.
Pourtant, selon Hinault, il semble y avoir une différence subtile mais essentielle entre ces jeunes champions et leur rapport à la course. Lorsqu’il dit qu’ils agissent « comme s’ils n’aimaient pas vraiment courir », il met en lumière une apparente absence d’émotion dans certaines de leurs victoires ou performances. Contrairement à des coureurs comme lui ou Eddy Merckx, qui vivaient chaque victoire avec une passion visible, Pogacar et Evenepoel semblent parfois détachés, presque froids, après leurs succès.
Cette critique d’Hinault pourrait être interprétée comme une nostalgie d’une époque où le cyclisme se vivait avec plus d’intensité visible. Cependant, il est également possible que Pogacar et Evenepoel incarnent une nouvelle approche du sport. Le cyclisme moderne est beaucoup plus scientifique, chaque effort est mesuré, et les émotions sont parfois mises de côté pour ne pas perturber les performances. Dans ce contexte, la gestion de l’effort et des émotions devient primordiale pour maintenir une constance au plus haut niveau.
Pogacar, par exemple, est connu pour sa capacité à rester incroyablement calme sous la pression, ce qui lui permet de performer de manière exceptionnelle dans des situations où d’autres se seraient effondrés. Il semble avoir une approche plus méthodique et calculée de la course, où chaque mouvement est planifié avec précision, mais où les émotions ne transparaissent que rarement.
Evenepoel, quant à lui, est souvent décrit comme un coureur plus impulsif et agressif, mais lui aussi garde une certaine réserve émotionnelle. Après avoir remporté des courses d’une importance capitale, il n’a pas montré les signes habituels d’euphorie que l’on associe souvent aux grands champions. Sa concentration sur le prochain objectif semble presque implacable, et cela pourrait être interprété comme un signe qu’il ne savoure pas pleinement chaque victoire.
Un autre élément à considérer est le contexte dans lequel Pogacar et Evenepoel évoluent. Contrairement à l’époque d’Hinault, où la pression médiatique était déjà intense, le cyclisme d’aujourd’hui se déroule sous les projecteurs constants des réseaux sociaux, des analyses instantanées et des attentes écrasantes du public. Chaque mot, chaque geste est scruté, et cela pourrait inciter ces jeunes champions à se protéger émotionnellement. Montrer trop d’émotion peut être perçu comme une faiblesse ou peut être interprété de manière incorrecte dans un monde hyper-connecté.
Cela pourrait expliquer pourquoi Pogacar et Evenepoel adoptent parfois une attitude plus réservée, presque stoïque, après leurs succès. Ils sont non seulement conscients de leur rôle en tant que sportifs, mais aussi de leur image publique. Dans ce contexte, ne pas montrer trop d’émotion pourrait être une stratégie pour rester concentré et éviter des distractions inutiles.
Hinault a également fait référence à un autre champion du monde lorsqu’il a fait cette comparaison, mais sans nécessairement donner un nom précis. Il est possible qu’il ait pensé à des coureurs comme Miguel Indurain, qui était réputé pour son calme presque robotique durant sa domination sur le Tour de France dans les années 1990. Indurain, tout comme Pogacar et Evenepoel, n’a jamais été un coureur démonstratif, même après des victoires éclatantes.
Un autre exemple pourrait être Christopher Froome, quadruple vainqueur du Tour de France, qui a également été critiqué pour son approche méthodique et son manque apparent d’émotion dans la victoire. Froome, bien qu’incroyablement talentueux, n’a jamais suscité le même engouement passionnel que des coureurs plus démonstratifs comme Alberto Contador ou Vincenzo Nibali.
Pour autant, affirmer que Pogacar et Evenepoel n’aiment pas la course serait une exagération. Ces jeunes athlètes ont consacré leur vie au cyclisme et ont déjà accompli des exploits que la plupart des coureurs ne peuvent que rêver d’atteindre. Leur passion pour le sport est évidente dans leur préparation, leur dévouement et leur constance au plus haut niveau. Ce qui peut sembler être un manque d’émotion n’est peut-être que la manifestation d’un professionnalisme extrême.
Le cyclisme a évolué, et avec lui, la manière dont les champions vivent et expriment leurs victoires. Hinault, avec sa mentalité de guerrier et sa passion à fleur de peau, représente une époque où le cyclisme était un combat quotidien. Pogacar et Evenepoel, quant à eux, semblent incarner une approche plus moderne, où la gestion de soi et des émotions est devenue une compétence essentielle. Pourtant, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils n’aiment pas courir. Leur passion est peut-être simplement plus intérieure, moins visible, mais tout
La comparaison de Bernard Hinault entre Pogacar, Evenepoel et un ancien champion du monde soulève une question intéressante sur l’évolution du cyclisme et sur la manière dont les coureurs modernes abordent la compétition. Si Hinault regrette peut-être une époque où la passion était plus visible, il est indéniable que Pogacar et Evenepoel apportent leur propre intensité au sport, même si elle est plus silencieuse.
Le cyclisme d’aujourd’hui est peut-être différent, mais il n’est pas moins exigeant. Pogacar et Evenepoel, malgré leur apparente distance émotionnelle, montrent par leurs performances qu’ils aiment profondément la course. Ils incarnent une nouvelle ère, où la passion se manifeste peut-être moins par des démonstrations visibles, mais plus par une détermination implacable à réussir, à gagner, et à écrire leur propre légende.
